Dans le nord du Bénin, l’insécurité fragilise la santé physique et mentale et étouffe l’accès aux soins essentiels. Depuis 2022, les attaques de groupes armés non identifiés ont provoqué la fermeture d’écoles, la désertion de centres de santé et la raréfaction des contraceptifs. L’attaque du centre de santé de Kalalé en septembre 2025, avec l’enlèvement de quelques agents de santé, illustre cette tendance alarmante. Selon le Guttmacher Institute, 28 % des besoins contraceptifs des adolescentes et jeunes femmes de 15 à 24 ans restent insatisfaits en Afrique de l’Ouest et du Centre. Au Bénin, plus de 200 décès annuels sont liés aux avortements clandestins. Dans les zones touchées par la violence, ces chiffres s’aggravent, exposant davantage les filles et les femmes. Cette crise silencieuse menace une jeunesse dont 65 % a moins de 24 ans. L’insécurité peut fermer les portes des soins, mais elle ne doit jamais fermer l’accès aux DSSR. Les pays membres du Partenariat de Ouagadougou doivent y veiller.
Les attaques contre les infrastructures sanitaires se multiplient en Afrique notamment dans les zones touchées par les violences terroristes. Au Bénin, l’attaque du 10 septembre 2025 contre le centre de santé communal de Kalalé, dans le Borgou, en est un exemple. Les assaillants ont enlevé plusieurs personnes dont des agents de santé, une sage-femme, son bébé et son garde-bébé. Ils ont emporté du matériel médical, des kits de santé et des motos de service.
Ces actes s’inscrivent dans une stratégie régionale des djihadistes ou individus armés non identifiés (IANI) qui ciblent délibérément les structures publiques dont médicales. Ils aggravent la vulnérabilité des populations déjà privées de soins. Dans ce climat de peur, les centres de santé se vident et les prestataires fuient. Les femmes hésitent à s’y rendre, même pour accoucher ou accéder à des services de contraception.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a dénoncé cette situation. Le 19 août 2024, pendant la journée mondiale de l’aide humanitaire, son Directeur général, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’était exprimé.
« Les attaques contre les personnels de santé, les hôpitaux et les services médicaux doivent cesser. Ces structures sont souvent le dernier rempart pour sauver des vies prises au piège de conflits inutiles et dévastateurs ».
Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS
Un message qui résonne fortement dans le contexte béninois et sahélien.
L’image ci-dessous présente le nombre d’attaques enregistrées contre les centres de santé à travers le monde en 2024.

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Chiffres alarmants et réalité de terrain
Entre 2016 et 2020, plus de 9 000 cas de grossesses précoces ont été enregistrés dans les établissements scolaires béninois. L’avortement clandestin demeure la troisième cause de mortalité maternelle. Ce phénomène est responsable de plus de 200 décès annuels liés à des interventions non sécurisées selon le gouvernement. Ces données traduisent une crise profonde, aggravée par les violences armées et l’effondrement des services publics.
Depuis 2022, le Bénin subit une montée des attaques terroristes, principalement dans l’Alibori, l’Atacora et le Borgou. Ces assauts, menés par des groupes terroristes non identifiés, des assaillants armés et des IANI, ont visé notamment les parcs Pendjari et W, ainsi que les communes frontalières de Porga et Karimama.
En 2023, plusieurs attaques ont également frappé Banikoara, Tanguiéta et Malanville. L’année suivante, d’autres incidents violents ont encore été signalés dans ces zones sensibles, confirmant la persistance de la menace sécuritaire. L’année 2025 s’est ouverte dans la violence. Le 8 janvier, 28 soldats ont été tués. Le 15 février, une attaque à Banikoara a fait 6 morts parmi les militaires et 17 assaillants neutralisés. Puis, le 17 avril, une embuscade dans le parc W a coûté la vie à 54 soldats béninois.
Ces violences ont provoqué des déplacements massifs, la fermeture d’écoles, la paralysie économique et le ralentissement des services de santé. L’insécurité limite la mobilité et complique l’accès aux services publics. Beaucoup de familles préfèrent éviter les centres de santé et recourent à l’automédication, avec des conséquences graves.
DSSR : un accès verrouillé par la peur
Les attaques armées perturbent gravement l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive (SSR) et à la planification familiale (PF). Dans les zones rouges, les centres de santé ferment ou se vident. Les stocks de contraceptifs s’épuisent. Le personnel médical, menacé, se déplace ou abandonne son poste.
Résultat : les femmes et adolescentes, déjà vulnérables, font face à une multiplication des grossesses non désirées. Les accouchements à domicile sans assistance se généralisent. Les cas de violences sexuelles apparaissent dans les camps de déplacés. Un agent de santé communautaire à Karimama témoigne.
« Depuis que les attaques ont commencé, nous avons perdu le contact avec certains villages lointains. Les femmes enceintes ne viennent plus en consultation prénatale et les jeunes filles n’ont plus accès aux services de planification familiale. »
Agent de santé communautaire requérant l’anonymat
À Banikoara, la population juge certaines routes trop dangereuses et évite de fréquenter les centres de santé. Des femmes accouchent désormais à domicile, dans des conditions précaires.
Santé sexuelle et hygiène en péril dans les camps

Les déplacements vers des zones plus sécurisées, comme le centre-ville de Tanguiéta, ont placé plusieurs personnes dans une précarité extrême. Les déplacés aussi bien burkinabè, togolais et béninois sont accueillis par les autorités locales des communes de Matéri, Tanguiéta et Banikoara avec l’appui du Programme Alimentaire Mondial et de la Banque Mondiale, pour répondre aux besoins urgents à travers des projets de résilience.
En juillet 2024, Robert Wembo Kassa, maire de Matéri, déclarait au micro de Rodrigue Guézodjè : « Nous accueillons près de 16 000 déplacés aussi bien béninois que togolais et burkinabè ». Depuis, le nombre a encore augmenté, en raison des violences persistantes aux frontières bénino-burkinabè.
Malgré cet appui, beaucoup vivent encore dans des conditions sanitaires dégradées, sans infrastructures adéquates ni accès régulier aux soins. Obtenir des soins ou se protéger relève désormais d’une lutte quotidienne. Les femmes et les filles subissent les plus lourdes conséquences. Dorcasse, 17 ans, fille-mère déplacée à Tanguiéta, évoque quelques difficultés.
« Il n’y a pas d’endroit sûr pour se laver. On partage les latrines avec tout le monde, et parfois il n’y a même pas d’eau. Faire sa toilette intime devient une honte. En manque d’eau, il faut parfois se montrer généreuse avec certains hommes pour en avoir ».
Dorcasse, 17 ans, fille-mère déplacée à Tanguiéta.
Bandoula, jeune fille de 21 ans, n’en dira pas moins. Ayant vécu auparavant à Cobly, elle raconte les difficultés rencontrées depuis son déplacement.
« Quand j’ai mes règles, c’est tout un problème. Je n’ai pas assez de savon pour laver mes serviettes en tissu ni d’argent pour acheter des serviettes jetables. Le couvre-feu commence à 19h, et à cette heure-là, plus personne ne peut sortir. Pourtant, c’est souvent le soir que nous pouvons aller chercher des produits contraceptifs, pour éviter les jugements et les critiques que subissent les filles et femmes en journée. Avec le couvre-feu, cela devient impossible. »
Bandoula, jeune fille de 21 ans vivant auparavant à Cobly.
Violences sexuelles et grossesses précoces
Dans les camps de déplacés, les grossesses précoces se multiplient. Nicole Opossi, inspectrice de l’action sociale à la retraite et directrice de l’ONG ECL’IPSE, alerte : « Des cas d’abus, de viols et de grossesses sont signalés. Pour l’heure, il est difficile d’avoir des chiffres. Mais je redoute une hausse des grossesses non désirées dans les mois à venir si nous ne prenons pas rapidement des mesures de protection et des dispositions sanitaires. »
Cette réalité s’inscrit dans une crise plus vaste. En 2023, l’ONU a recensé 3 688 cas de viols et autres violences sexuelles dans les zones de conflit, soit une augmentation de 50 % par rapport à l’année précédente. En 2024, plus de 3 500 cas ont été enregistrés en Afrique, marquant une hausse de 27 % par rapport à 2023. Les femmes et filles représentent 84 % des victimes, mais les hommes et garçons sont aussi touchés.
Selon l’UNICEF, en Afrique subsaharienne, 22 % des femmes ont subi des agressions sexuelles avant 18 ans précise Afric.com. Ces violences laissent des séquelles durables sur la santé, la dignité et l’avenir des victimes.
Le numérique, un allié face à la crise
Face aux crises qui limitent l’accès des jeunes aux services de santé sexuelle et reproductive (DSSR), des solutions innovantes émergent grâce au numérique et à l’intelligence artificielle (IA). Ces outils, adaptés aux réalités locales, permettent d’informer, d’orienter et de maintenir le lien avec les services essentiels
Au Sénégal, l’ONG RAES a lancé ‘’C’est la Vie !’’, un chatbot accessible sur WhatsApp, Messenger et Telegram. Il aide les jeunes à obtenir des informations fiables sur les DSSR et à adopter des comportements responsables. Au Bénin, l’Association des Blogueurs a développé Chat Billi, un assistant virtuel au ton jeune qui met les utilisateurs en relation avec des professionnels de santé et les oriente vers des structures adaptées. Au Mali, l’initiative DIARRA-IA, soutenue par le CRDI du Canada, développe des chatbots éducatifs pour les jeunes, intégrant les réalités culturelles et linguistiques.
Lorsque l’accès à internet ou aux smartphones est limité, des lignes téléphoniques, comme le 7344 de l’ABMS, assurent le relais et maintiennent le lien. L’ABMS, les centres Amour et Vie, Jeunes Volontaires pour la Santé (JVS) ou encore Filles en Action offrent écoute, conseils et orientation en langues locales.
Pour Ayouba Orou Gounou Guéné, spécialiste en communication DSSR et Directeur exécutif de l’association Barika, « dans ce contexte d’insécurité, les solutions numériques, l’IA et les lignes d’écoute deviennent vitales pour maintenir le lien entre les jeunes et les services essentiels ».
De son côté, Koudous Ibouraima, Data & AI engineer, souligne : « L’IA peut améliorer la planification de la distribution des contraceptifs, anticiper les ruptures, optimiser les cliniques mobiles et même faciliter la livraison par drones. Mais elle ne remplace pas l’humain : sa force est de relier les jeunes au système de santé, tout en laissant aux professionnels ce qui compte vraiment : l’écoute et l’accompagnement ».
Communautés et résilience locale

Au-delà de la technologie, les approches communautaires demeurent indispensables. Impliquer les leaders locaux à travers des mécanismes comme le « dialogue des générations » crée un environnement favorable aux DSSR.
Au Niger, les acteurs de santé ont mis en place des clubs de santé scolaire qui ont déjà fait leurs preuves. Il faut placer les adolescents et les jeunes au cœur des solutions, conformément au principe : « Rien pour nous sans nous ». Ces clubs permettront aux filles d’accéder à des informations fiables sur leur santé reproductive. Au Bénin, des ONG comme DEDRAS, ECL’IPSE ou la Croix Rouge organisent des descentes de terrain avec des agents de santé communautaires pour sensibiliser les déplacés et populations locales sur les sujets relatifs aux VBG.
Le rôle des radios communautaires est capital. Elles doivent diffuser dans ce contexte des messages en langues locales sur les DSSR, la PF et les droits des femmes. Dans certaines zones reculées, des cliniques mobiles comme stratégies avancées doivent sillonner les villages et camps pour offrir soins, consultations et produits contraceptifs. Mais ces parades doivent être régulières au regard de la spécificité des besoins.
Répondre à l’urgence : le dispositif minimum

Sur le plan opérationnel, l’intégration du Dispositif Minimum d’Urgence (DMU) dès le début d’une crise est cruciale. Cette approche, promue par Médecins du Monde Suisse, fournit rapidement les soins essentiels. Il s’agit des soins obstétricaux d’urgence, contraception, prévention des IST et soins liés à l’avortement. La création de centres dédiés aux jeunes, avec des espaces d’attente confidentiels et du matériel éducatif, réduit la stigmatisation et améliore l’accueil.
Le renforcement des partenariats multisectoriels entre ONG, autorités publiques et prestataires de santé est également indispensable. Cela passe par la formation continue des acteurs communautaires et sanitaires, et un plaidoyer actif pour financer durablement les projets DSSR.
Face à l’insécurité et à l’effondrement des services de base, il devient urgent de repenser les réponses en santé reproductive. Des solutions existent : innovation numérique, engagement communautaire, coordination institutionnelle et plaidoyer. Ces leviers garantissent l’accès équitable aux DSSR, même en contexte de crise.
Dans cette perspective, les pays membres du Partenariat de Ouagadougou doivent appliquer les recommandations du PO en situation de crise pour maintenir les services de planification familiale. C’est une condition sine qua non pour atteindre les objectifs ambitieux du Partenariat, même dans les contextes les plus fragiles.
En Afrique de l’Ouest et du Centre, où 65 % de la population a moins de 24 ans, investir dans les DSSR, c’est investir dans l’avenir. C’est donner aux jeunes les moyens de faire des choix éclairés et leur permettre de contribuer au développement de leur communauté et tirer profit du dividende démographique.
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